Une lettre d’un communard inconnu et la recherche de son histoire

Récemment j’ai redécouvert une lettre écrite par un communard détenu sur un ponton en septembre 1871. Je l’ai trouvée digitalisée sur internet, parce qu’elle était vendue avec d’autres documents similaires, tous liés à la détention et la déportation des communards. Des extraits sont disponibles ici : https://www.rouillac.com/fr/lot-399-118080-guerre_1870_1871_commune_paris_arrestations

Voilà la lettre :

Et voilà une transcription adaptée (de la partie que je suis réussie à lire) :

Ile d’Aix le 11 7bre 1871
Chers parents,
Je vous écris ces deux mots pour vous dire que je suis à bord de l’Orne. Je me porte assez bien pour le moment. Ne vous chagrinez pas. Embrassez Louise et le petit Louis. Envoyez-moi du papier dans votre lettre car je n’ai pas un sou. Rien de plus à vous dire pour le moment. Je vous embrasse tous de tout cœur. Votre fils pour la vie Louis Colson
A bord de l’Orne dans la rade de l’ile d’Aix
Charente Inférieure

J’ai lu cette lettre plusieurs fois déjà, essayé de la comprendre de toutes les façons. Mais cette fois je me suis dit que je vais essayer de trouver des informations sur celui qui l’a écrite.

Grâce à la base de données https://communards-1871.fr/ j’ai réussi à identifier l’expéditeur de la lettre comme Louis Colson, né en 1850. Là j’ai aussi découvert qu’il existe de lui un dossier dans les Archives nationales d’Outre-mer, ce que veut dire qu’il a été déporté. Ce dossier est disponible sur internet ici et m’a donné des nouvelles informations à son propos. J’ai alors découvert qu’il a été condamné à la déportation dans une enceinte fortifiée et à la dégradation militaire parce que le 18e conseil de guerre l’a retenu coupable « 1° de désertion à l’intérieur d’un territoire en état de siège ; 2° d’avoir porté publiquement un uniforme et une arme apparente dans un mouvement insurrectionnel et d’avoir fait usage de cette arme ». J’ai aussi pu déduire que l’accusation de désertion est liée au fait qu’il était un soldat. Le dossier indique que Colson est arrivé en Nouvelle-Calédonie à la fin de septembre 1873 par le Calvados. Quelque mois avant, sa peine a été commué en déportation simple. En 1874, il a obtenu l’autorisation à habiter à Uarai ou Urai. En août 1875 sa conduite et son travail sont considérés passables. En Octobre de la même année cependant il est noté « Paresseux. Ivrogne. A abandonné sa concession ». Si j’ai bien compris, cette évaluation a contribué à son retour à l’ile des Pins. En 1879 il a toutefois été gracié et est reparti pour la France en juin de la même année par la Picardie.

Louis Colson a aussi une entrée dans le Maitron, qui reste incomplète, mais fournit des nouvelles indications sur la vie de notre communard.

J’ai découvert comme ça des nouvelles informations sur ses activités pendant la Commune :

Soldat de la classe 1870 au 23e bataillon de chasseurs, il était, le 17 mars 1871, caserné au Mont-Valérien et se rendit à Paris ; il y fut fait prisonnier le lendemain, dit-il, et libéré le 26 ; il s’enrôla le 13 avril dans la 4e compagnie de marche du 185e bataillon de la Garde nationale et fut nommé fourrier le 18 mai ; il fit une chute de cheval, le 20 mai, et fut transporté à Bicêtre ; il fut fait prisonnier le 25.

Sur sa détention et déportation l’article reporte les indications suivantes :

Il fut incarcéré à Rochefort et le 18e conseil de guerre le condamna, le 5 juillet 1872, à la déportation dans une enceinte fortifiée et à la dégradation militaire, peine commuée, le 16 janvier 1873, en déportation simple, et remise le 15 janvier 1879 ; il rentra par la Picardie.

Mais une chose en particulier a suscité son attention :

Il s’était marié le 10 septembre 1872 à la mairie du XIIIe arr. et avait reconnu un fils né à Paris le 2 mars 1870 ; sa femme le rejoignit en Nouvelle-Calédonie et eut un deuxième enfant.

Cette découverte m’a tellement rendu curieuse que je n’ai pas hésité à rechercher l’acte de mariage dans les Archives de Paris. Et avec les informations détaillées de l’article je l’ai trouvé rapidement. J’espérais de trouver des réponses a des questions diverses, lié aux informations que j’avais trouvé. Est-ce que Louise et le petit Louis mentionnés dans la lettre sont son épouse et le fils qu’il reconnait lors du mariage ? Et comment est-il possible que Colson ait pu se marier à la mairie du 13e arrondissement de Paris quelque mois après sa condamnation à la déportation ?

Voici l’acte de l’état civil :

Ainsi j’ai découvert que l’épouse s’appelle en fait Louise Nicole Anneçon et leur fils François Louis. En outre la composition des témoins indique que Louis Colson n’est pas entièrement en liberté même s’il lui est autorisé de se rendre à la mairie. En fait deux d’entre eux ont comme profession « inspecteur de sûreté ».

J’ai aussi trouvé un passage qui distingue cet acte des autres que j’ai consulté dans les derniers mois et qui datent en particulier du temps de la Commune. C’est que les certificats de baptême ont été nécessaires pour confirmer les dates de naissances affirmées par les parents. Je m’imagine que c’est parce que les deux époux sont nés à Paris et donc leurs actes de naissance ont été détruit par l’incendie de l’Hôtel de Ville à la fin de la Commune.

Encore une fois je reste tellement enchantée de combien de détails et informations historiques on peut trouver dans des documents apparemment insignifiants comme une lettre et un acte de mariage.

P.S.

Quand cet article était en attente de publication, j’ai découvert que les actes de l’état civil de la Nouvelle-Calédonie sont également numérisés. Et naturellement j’ai commencé à les feuilleter. Et puis, tout à coup, je trouve l’acte de naissance du deuxième enfant de Louis Colson, Gabriel Louis, né à l’ile des Pins en 1877.

Espoir et angoisse d’un communard amnistié : La Traversée de Gérard Hamon

Quoi faire après l’amnistie? C’est une des questions que se pose le protagoniste du livre de Gérard Hamon. Ce roman se présente sous la forme d’un journal rédigé par un communard amnistié pendant le voyage de retour. Il contient des détails du voyage, mais c’est aussi une forme de réflexion psychologique. En fait le protagoniste non nommé (ou plutôt anonymisé, il s’appelle en fait *** ***) se trouvait dans un état qui se peut considérer presque comme une hibernation qui a duré plusieurs ans. Ce n’est qu’avec l’amnistie et ce voyage de retour qu’il semble avoir complètement repris conscience de son existence qu’il explore avec les pages écrites non pas pour être publiées mais pour regagner et comprendre mieux le sens de son propre passé, présent et futur.

Encore une fois nous retrouvons une relation intéressante entre fiction et réalité historique. Tous les déportés que le protagoniste rencontre sont réels. Le même vaut aussi pour le commandant du navire. L’auteur a consulté les dossiers et beaucoup de sources, en particulier en ce qui concerne les conditions de transport des déportés pendant les voyages de l’aller et du retour. L’auteur décrit ce processus de recherche à la fin du livre. Là on découvre aussi que le protagoniste est aussi inspiré par un communard réel.

En particulier, le voyage à bord du Var est évoqué avec une précision très réaliste et tangible. Le même vaut pour les informations retrouvables dans les dossiers. Cependant les références à la déportation et à la Commune restent beaucoup plus vagues. La déportation est décrite en particulier comme une période d’inertie et de repli sur soi même. Elle n’est racontée que dans des épisodes isolés et des réflexions généralisées. Le temps de la Commune est aussi peu concrétisé. C’est une période de grand espoir pour un homme qui s’est laissé entrainer par la foule avec laquelle il a partagé certains espoirs et convictions. Mais pendant tout ce temps il n’a pas eu la possibilité de comprendre toute la dimension de ce qui a été la Commune. A part quelques idées c’est surtout la guerre civile qui reste dans la mémoire du protagoniste et qui le poursuit même dans des cauchemars. Les relations temporelles des faits de la Commune évoquées dans les écrits du narrateur et les fragments de dialogue qu’il cite restent confuses et vagues, dans des cas isolés fausses ou au moins très improbables. Ce dernier vaut en particulier pour des femmes qui se lancent sur les généraux Lecomte et Clément-Thomas et veulent venger leurs maris « massacrés par les Versaillais ». J’ai d’abord pensé qu’il s’agissait d’une simple erreur de dénomination, et qu’il se réfère peut-être aux évènements de juin 1848 dont l’implication de Clément-Thomas est évoquée quelques pages avant. Mais ce ne peut pas être le cas parce qu’il s’agit d’une chose qui doit s’être passée très peu de temps avant, puisqu’une femme « exposa sous le nez de Lecomte la plaie fraîche […] de la morsure de la balle du fusil d’un soldat assaillant alors qu’elle tentait de venir en aide à son mari mortellement blessé. » Cet épisode aurait donc dû avoir lieu le 18 mars même ? De ce que je sais il n’a pas eu de massacres commis par les Versaillais ce jour-là, mais je me laisse volontairement convaincre autrement par des sources plus fiables qu’un roman. Il reste donc ouvert s’il s’agit d’une erreur de recherche, une libre interprétation du fait que le général Lecomte a ordonné de tirer sur la foule (a-t-il eu des soldats qui ont effectivement tiré ?) ou c’est peut-être le résultat de la mémoire confuse et peu fiable des personnages avec ces 8 ans de distance. Dans le même passage il y aussi des hésitations sur les noms des généraux qui sont appelés une fois Lecomte et Thomas, puis deux fois Lecomte et Clément et enfin Clément et Thomas.

En tout cas il s’agit d’un livre intéressant à lire qui contient tous les souvenirs, les souffrances mais aussi les espoirs d’un groupe de communards inconnus. En le lisant nous partageons avec eux les privations d’un voyage en mer, l’ennui de mois passés dans l’attente. Peu à peu nous découvrons leurs histoires, qui sont pleines de souffrance, de familles déchirées, de guerre et de mort. Mais nous découvrons aussi quels sont leurs compétences, leurs idéaux avec lesquels ils n’ont pas rompu malgré tout. Les conditions du voyage ne sont pas faciles, mais cette fois c’est un retour, c’est un trajet guidé par l’espoir et par la libération. De plus en plus la mémoire des souffrances endurées est remplacée par la curiosité envers ce qu’ils retrouveront en France. Cette curiosité est pleine de craintes mais aussi d’espoir. C’est ainsi que le livre se termine, dans l’incertitude quand même rassurante de communards amnistiés, déportés redevenus citoyens.

Hamon, Gérard. La Traversée: Retour de bagne d’un communard déporté. Rennes: Éditions Pontcerq, 2016.

Discussion du livre sur le site des Ami(e)s de Henri Guillemin

Pour ceux qui aimeraient maintenant savoir comment le voyage de retour a été vécu par un communard réel, le journal de Jules Renard est disponible librement sur Gallica.